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Privilégier la forme au détriment du fond, considérer la langue de bois comme une fin et non comme un moyen: voilà ce que croient les personnes qui n’ont rien à dire d’important. Nous autres préférons de loin l’idée que l’argumentation est la condition sans laquelle l’adhésion de l’auditoire ne peut être emportée.

Cela étant dit, l’argumentation n’est pas une condition suffisante pour convaincre. Argumenter, cela consiste à produire un discours fondé sur l’accumulation et l’exploitation de données significatives; or, ces données peuvent toujours être soumises à controverse: d’autres données apportées par l’auditoire viendront contredire notre version de la vérité. En outre, un discours fondé uniquement sur l’argumentation comporte un risque majeur: nous perdre dans des considérations techniques et jargonnantes au point d’ennuyer l’auditoire et de le décevoir.

Dans ces conditions, il faut envisager une autre voie pour transmettre ses valeurs et ses idées: cette voie, c’est le storytelling.

Le storytelling est une technique visant à marquer une pause argumentative en optant pour le mode narratif. Sa vocation est de produire un récit qui donne une représentation sensible du système de valeurs que l’on cherche à défendre. En fait, un orateur recourt au storytelling quand il veut que le message soit incarné par un personnage. Ainsi, le storytelling permet de communiquer de manière directe avec l’inconscient du l’auditoire, comme le faisaient les aèdes et les poètes d’autrefois.

Le storytelling implique de s’inspirer du « schéma actanciel du récit », c’est-à-dire de la structure à partir de laquelle toutes les histoires se racontent: on commence par présenter la situation initiale, les personnages et le héros, puis on expose les obstacles que le héros rencontre avant de conclure sur la manière dont celui-ci les surmonte.

Etape 1 : la situation initiale

D’abord, il faut commencer notre récit en évoquant un contexte spatio-temporel précis. Pour bien planter le décor, nous décrivons un lieu, une époque, une ambiance, et ce, en faisant appel aux cinq sens (l’ouïe, le toucher, le goût, l’odorat, la vue). Cela permet d’immerger l’auditoire dans une réalité, un monde qu’il commence alors à se représenter mentalement.

Ensuite, il convient d’insérer des personnages, de faire un portrait de chacun (visage, allure, vêtement), de les nommer éventuellement puis de les faire évoluer dans le contexte spatio-temporel présenté au préalable. On peut décrire le physique des personnages de telle sorte que l’auditoire en déduise leurs caractéristiques morales.

Enfin, un personnage principal, le héros, animé d’un idéal et poursuivant un objectif bien défini, doit émerger de cette histoire; l’attention de l’auditoire sera captée si tout est mis en oeuvre pour qu’il s’identifie au héros.

Etape 2 : les obstacles

Pour que l’histoire que nous racontons tienne l’auditoire en haleine, il est important que soit intégrée une difficulté, un obstacle, un problème que rencontre le personnage principal. Quelque chose ou quelqu’un qui neutralise la réalisation de son projet. Une force contraire au déterminisme. Une rupture de la linéarité de l’histoire.

Cette force contraire peut se manifester de manières multiples: ce peut être un être divin, un être humain, un animal, un phénomène climatique, un évènement, un objet… Mais quelle qu’en soit la manifestation, cette force contraire revêt aussi et surtout une dimension symbolique: elle empêche le personnage principal auquel s’identifie l’auditoire d’atteindre son idéal. Aussi, cette force d’opposition que le personnage affronte doit être décrite de telle sorte que l’auditeur ait l’impression qu’elle est insurmontable, afin qu’il se demande par quels moyens le héros triomphera d’elle.

Etape 3 : La résolution

A l’instar d’un conte initiatique, le héros parvient finalement à surmonter la difficulté qu’il a rencontrée. Or, comment y est-il parvenu?

Le problème est résolu grâce à quelque chose ou quelqu’un: c’est une force auxiliaire, c’est-à-dire une force alliée. Et, tout comme la force contraire, cette force auxiliaire peut se manifester de manières multiples: ce peut être un être divin, un être humain, un animal, un phénomène climatique, un évènement, un objet… Et quelle qu’en soit la manifestation, cette force adjuvante revêt là encore une dimension symbolique: elle permet au héros de dépasser sa condition initiale, de se réaliser en tant qu’Homme, d’atteindre une révélation d’ordre supérieur.

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De tout ce qui précède, nous garderons en mémoire que le storytelling est une technique  du discours parmi d’autres que nous ne devons pas substituer à l’argumentation pour convaincre durablement un auditoire. Alors, prenons garde de ne pas en faire usage de manière abusive: nous courrions le risque de perdre notre bonne renommée durement acquise et la confiance que certains avaient alors placé en nous.

David Jarousseau