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La langue française est un organisme vivant. Depuis que les poètes de la Pléiade l’ont inventée à la Renaissance, elle ne cesse de grandir, de se développer, de s’améliorer.

Traversant les siècles, elle est toujours et indiscutablement de plus en plus belle pour peu que l’on fasse l’effort de l’écrire et de la parler avec amour et le plus grand respect.

Or, il semble que notre langue soit sur le point de connaître un profond bouleversement depuis l’essor d’un tout nouvel outil, l’écriture inclusive. L’objectif poursuivi par celles et ceux qui la défendent et qui y ont recours est d’en finir avec la règle de grammaire qui dit que le masculin l’emporte sur le féminin. Marquée du sceau patriarcal, la langue française serait le reflet des inégalités de toutes sortes que chacun constate dans sa vie de tous les jours. Ainsi, le combat pour l’égalité la plus stricte entre les hommes et les femmes commencerait par la rectification des principes prétendument misogynes de notre langue.

Parmi les modifications recommandées par le Manuel d’écriture inclusive, il y a le « point milieu », dit aussi « point médian », qui permet d’écrire « les salarié.e.s » plutôt que « les salariés ». En fait, au lieu de voir dans le mot « salariés » mis au pluriel l’union des hommes et des femmes en un seul et unique signe, l’écriture inclusive nous invite à fragmenter le mot avec ces “points milieu” censés les réconcilier.

L’erreur, à nos yeux, repose sur un amalgame: confondre délibérément le « masculin » et le « mâle ». Or, nous ne croyons pas que la règle du masculin qui l’emporte sur le féminin soit la règle phallocrate du mâle. Au contraire, nous croyons plutôt que cette règle de grammaire est proprement miraculeuse: elle nous rappelle que les hommes et les femmes sont frères et soeurs par nature; que leur égalité s’opère dans la langue française, que leur unité parfaite se réalise et prend corps en un seul et unique mot.

Mais ce que nous venons de dire ne peut être entendu si l’on ne fait aucune différence de nature entre le monde matériel et le monde des symboles. Un symbole, c’est un aspect ou la totalité du monde qui prend forme en une image, une représentation, un signe. Un symbole n’est pas le monde physique: un symbole établit, selon le mot de Charles Baudelaire, une « correspondance », c’est-à-dire un dialogue inaudible et merveilleux entre l’esprit et les choses tout autour.

Dans ce sens, le symbole chinois du Yin et du Yang représente la perfection qui repose dans la fusion des énergies mâles et femelles. Ce symbole peut certes être envisagé sur un plan physique, mais il doit davantage être pris dans un sens spirituel. Le Yin et le Yang sont reliés au point de se confondre l’un dans l’autre quoi qu’on les distingue l’un de l’autre. Cela nous enseigne que nous sommes tous, hommes et femmes, des êtres capables de nous perfectionner au contact de l’autre, cet autre qui est mon semblable, mon frère ou ma soeur en humanité.

Nous voyons donc dans le point milieu une façon de discriminer, aux sens physique et symbolique, le masculin et le féminin. A cause de l’écriture inclusive, les deux énergies complémentaires qui fusionnent dans un seul et même signe, le mot mis au pluriel, deviennent désormais deux objets parfaitement dissociés. Il y a d’un côté les hommes et de l’autre les femmes. Ainsi, ce point ne symbolise pas un « et » inclusif mais bien au contraire un « et » exclusif. Voilà pourquoi nous  renonçons à recourir à ce nouvel objet pour parler des hommes et des femmes lorsque cela est nécessaire: ce point nous sépare au lieu de nous unir.

Nous l’avons dit et nous le rappelons, la langue est un organisme vivant. Aussi, il est juste de chercher d’autres façon de transmettre notre langue française; il est juste de vouloir essayer de l’améliorer pour continuer de la faire grandir. Mais parce qu’elle est vivante, la langue française peut aussi disparaître et mourir. Mourir! Elle qui était autrefois la langue diplomatique de l’Europe! Alors, si nous voulons reconquérir des territoires, si nous voulons faire rayonner la langue française partout dans le monde, si nous voulons que nos enfants la portent dans leur coeur et la défendent mieux que nous la défendons nous-mêmes, ne nous empêchons pas d’imaginer son perfectionnement et son renouvellement. Mais pour que cela fonctionne, il faudra préserver les trois métaux alchimiques qui la composent. Ces trois métaux, également masculins et féminins, ont pour nom Beau, Bien, Vrai. Rien n’est grand ni ne dure sans qu’ils soient présents à l’esprit.

David Jarousseau