Pour un théologien, l’exégèse biblique consiste à étudier la révélation qui est dissimulée derrière le langage, selon une démarche spéculative et avec un certain nombre d’outils d’analyse.
Le commentaire composé, tel qu’il est enseigné au lycée, fonctionne de manière comparable à l’exégèse: il préfigure une approche inédite du texte littéraire débouchant sur la découverte de son sens caché. En effet, après avoir d’abord observé le texte superficiellement, l’élève découvre ensuite qu’un message subliminal existe derrière les mots qui le composent.
En fait, le langage semble fonctionner comme un code. D’ailleurs, la pensée réelle d’un énonciateur peut parfois différer totalement des apparences : Montesquieu l’illustre parfaitement avec « De l’esclavage des nègres », texte mystérieux qui a perturbé des générations de lecteurs ! L’exégèse et le commentaire composé permettent ainsi de prendre conscience que toute formulation – du choix de la syntaxe à celui des temps verbaux – induit une démarche particulière de la part de l’auteur d’un propos : être ou ne pas être compris. Quand Buffon affirme que « le style, c’est l’homme », on doit donc comprendre que tout individu crypte sa conception du monde derrière le vocabulaire qu’il emploie, que ce cryptage soit conscient ou non.
A ce titre, l’étude de la poésie à l’école demeure essentielle : non seulement elle met en exergue la diversité de notre patrimoine littéraire, mais elle permet aussi et surtout de comprendre que toute parole est dissimulation du sens. Car un poème consiste à encoder le message réel derrière un ensemble de mots soigneusement choisi afin de créer une ambigüité. C’est de cette torsion du sens que nait l’étonnement, puis le désir irrépressible de comprendre ce que le poème signifie vraiment.
L’Éducation Nationale – jusqu’à preuve du contraire – a vocation à former les citoyens de demain : réaliser en classe des commentaires composés s’avère donc fondamental pour que chaque élève devienne capable d’évaluer la réelle signification d’un discours politique. En effet, la parole politique recourt aux armes de la poésie en usant de l’ambigüité pour conquérir le pouvoir. Ainsi, les techniques d’analyse du commentaire composé ouvrent la vie publique et politique à davantage de compréhension.
Le double langage en politique : l’affaire Guéant
Pour illustrer ce que nous disons de la subtilité poétique de la langue politique, considérons donc une phrase prononcée publiquement, à quelques mois de la présidentielle de 2012, par l’ancien ministre de l’intérieur, Claude Guéant, et qui fit un tel scandale qu’elle a pesé sur la réélection de Nicolas Sarkozy : « toutes les civilisations ne se valent pas ».
L’opposition a réagi immédiatement, déplorant la teneur « raciste » supposément inhérente à la citation, en partant du principe que la distinction des civilisations en termes de « valeur » impliquait nécessairement une discrimination. Or, à la décharge du ministre, la « race » n’est pas induite dans le concept de « civilisation », et ce, d’autant moins que François Hollande promettait de retirer ce terme litigieux de notre Constitution. L’opposition a donc pris le risque d’être discréditée pour diffamation car cela laissait entendre que « race » et « civilisation » allaient ensemble pour Guéant. Or, quand bien même il l’aurait pensé, ce n’est certainement pas ce qu’il avait dit.
Mais alors, que signifie vraiment la phrase de Claude Guéant? Que veut dire le terme « civilisations » ? Quel sens donner au mot « valeur » ? A vrai dire, nous n’en savons rien : cette phrase peut autant signifier que certains peuples sont supérieurs à d’autres en fonction de critères particuliers (reste à définir lesquels) mais elle peut aussi vouloir dire aussi que tous les peuples… sont différents. En définitive, cette proposition peut être considérée discriminante pour les uns, consensuelle pour les autres : en soi, cette phrase ne veut donc rien dire.
Mais quel que soit le sens réel de cette phrase, l’opinion publique a décodé défavorablement le message de Claude Guéant. Sans bien sûr tenir ce dernier pour seul et unique responsable de la défaite électorale de 2012, c’est en votant contre Sarkozy qu’elle s’est exprimé sur le sens retenu. En démocratie, le verdict du grand nombre l’emporte toujours ; c’est dans les urnes que se joue l’exégèse de la parole publique.
David Jarousseau